Et puis j'ai pleuré
Voilà, cela faisait bien quatre ans que cela ne m'était pas arrivé. Hier, j'ai pleuré après avoir laissé partir mes élèves. J'ai fermé ma porte, me suis assise à mon bureau et ai laissé les larmes couler. Depuis 3 mois je me bats, je cherche, j'essaie. Depuis 3 mois je me plante. Je suis fatiguée, épuisée même de leur vulgarité, des insultes qu'ils se lancent à longueur de cours, de leur attitude menaçante, de leur incapacité à lever le doigt pour prendre la parole, de leurs bavardages incessants, de leur manque de respect. Tout ça me fatigue. Et je ne parle même pas du travail.
Mais voilà, j'enseigne trois heures par semaine à une classe de 5ème Segpa.
Qu'est-ce-que c'est que ça, la Segpa?
SEGPA, c'est pour Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté. C'est une section d'enseignement du collège, de la 6ème à la 3ème, mais les cours sont assurés par des professeurs des écoles pour la partie générale, et pour des professeurs de lycée pro pour la partie professionnelle. Des professeurs de collège interviennent pour l'anglais, la SVT, l'EPS, la musique et l'art plastique.
La SEGPA est destinée aux élèves en grande difficulté scolaire, mais n'étant pas concernés par le statut de personne handicapée. Ces derniers relèvent de l'IME et de l'ULIS. Pourtant, dans mon groupe de 16 5èmes, j'ai une élève qui appartient à l'Ulis du collège, et un autre qui relève de l'IME.
Les enfants sont orientés en SEGPA après le CM2, parfois après une 6ème générale, après des échecs scolaires constatés et persistants.
Ces enfants sont bien souvent issus de familles de cas sociaux. Leur échec scolaire est généralement la conséquence d'une grande misère sociale. Cette année, environ 50% de mes élèves vivent en foyer ou en famille d'accueil, les autres ont quasiment tous un profil identique : chômage, minimas sociaux, familles monoparentales. Tous ont un point commun : des parents absents ou démissionnaires. Et aussi des parents qui ne mesurent pas les difficultés qu'éprouvent leurs enfants à l'école.
Le vécu de ces ados est souvent très sombre: misère sociale, parent en prison, viol...Beaucoup vivent dans le dénuement le plus total, je suis parfois obligée de faire cours fenêtres ouvertes pour pouvoir respirer.
Ces élèves ont une estime d'eux-mêmes très faible, voire inexistante. La plupart n'a aucune confiance en l'adulte et se trouve dans la confrontation permanente.
Au milieu de tout cela, je dois leur dispenser 3 heures de cours d'anglais par semaine. Pourtant, dans ma classe, deux élèves ne savent pas lire. La graphie est un gros souci pour beaucoup. Comment leur assurer un enseignement de qualité alors que je doute moi-même de l'utilité de leur faire apprendre une langue étrangère? Quand je pense qu'à la place de ces trois heurs, ils seraient mieux en atelier, ou en classe de français?
Bien consciente de leurs difficultés scolaires et sociales, j'ai essayé de m'adapter, de leur proposer des jeux, des poésies, des chansons. J'ai échoué. Je suis tombée dans l'autre pendant, j'ai même viré autoritariste, brandissant la menace de la sanction à tout bout de champs. Evidémment j'ai échoué. Ce qui fonctionne un jour part en vrille le lendemain.
Pourtant je suis persuadée que la solution existe quelque part. Il ne peut pas en être autrement.
Demain, je les retrouve, pour la troisième fois de la semaine. J'ai passé du temps, hier soir et aujourd'hui, à préparer d'autres armes. Mais je sens bien que je perds la foi et la motivation...